Circonstances particulières
(en collaboration), Québec,
L’Instant même éditeur, 1998.
Extrait
Il n’y a plus que
son bras contre mes côtes, et mon bras sous le sien. Si peu de chair !
Tout le reste de ma surface s’effraie de l’air qui l’effleure et se
couvre de chair de poule. Mais son corps prend trop de place ! Comment
je pourrais dormir dans un petit espace ? Il n’est pas question qu’il
reste ici. Il va respirer comme un cheval et il va bien falloir que je
l’écoute. Je n’oserai pas aller à la toilette avant le matin parce que,
la nuit, le moindre bruit devient une grosse bulle qui éclate contre les
murs, et le moindre mouvement devient tremblement de terre.
Le
lutin dans la pomme,
Laval, Éditions Trois, 2004 (épuisé).
Extrait
Après plusieurs tours de
pomme, le petit être se laisse tomber assis par terre. Une fourmi grimpe
sur sa jambe et il la regarde avec intérêt. La fourmi hésite,
puis
redescend lentement. Ernestine frisonne. Pour lui, l’insecte était gros
comme un chat ! À sa place, elle se serait enfuie en courant !
—Vous êtes une fée ?
demande-t-elle avec hésitation.
Le petit être éclate de
rire et bondit sur ses jambes. Il effectue une sorte de danse, en
tournant en rond et en agitant les bras. Son rire est plein de notes
comme une musique.
—Tu me trouves joli
comme une fée ? Oh,j’aurais aimé être une fée, avec des ailes
transparentes et des cheveux d’argent… Mais je ne suis qu’un lutin. Un
très vieux lutin, tout seul.
Chanterelle ne danse
plus. Il est debout et semble triste. Il regarde Ernestine et ses yeux
sont devenus vert foncé.
—Tous les autres sont
disparus. Moi seul, je suis resté.
Les amours fragiles,
Montréal, Éditions Libre Expression, 2003 (épuisé).
Été 1976. Véronique s’adapte avec peine au divorce de
ses parents et son passage à travers l’adolescence en est doublement
perturbé. Elle se réfugie dans son imaginaire et vit en silence son
incertitude face à l’amour de son père qui se consacre à sa nouvelle
famille. Et s’il ne l’aimait plus ? Quant à sa mère, Évelyne, elle
profite d’une liberté toute neuve. N’est-ce pas dans l’air du temps de
partir en chasse de nouveaux amants et d’affirmer son indépendance ?
Mais cette femme libérée demeure un être d’une grande fragilité qui,
trop souvent, récolte les déceptions.
Dix ans plus tard, quand l’amour semble enfin sourire
à la mère, la fille, elle, se rebelle. Est-ce que sa révolte s’exprime
contre sa mère, ou est-ce que la voie que sa vie emprunte pour qu’elle
s’affranchisse, une fois pour toutes, de la femme sauvage et
insatisfaite qu’elle est devenue ? Entre la mère et la fille, il y a eu,
certes, des silences et de l’incompréhension. Mais l’héritage affectif
d’une mère à sa fille est un passage obligé qui requiert parfois la
salutaire exploration des amours fragiles.
Extrait
Évelyne et Xavier reposent nus côte
à côte au sein de cette minute d'éternité, quand les souffles
s'apaisent, que le sang ralentit sa course et qu'on ne sait s'il s'est
écoulé quinze minutes ou trois heures depuis le premier baiser. Irradiée
par la blancheur
de la neige, la chambre prend sous les yeux d’Évelyne
des teintes virginales, presque nuptiales. Elle songe à sa robe de noce
et à tout le cérémonial entourant son mariage, près de trente ans
auparavant. Quel remue-ménage inutile, et quels mots creux que l'échange
de vœux devant le curé! La vraie célébration a lieu après le départ des
invités, quand le marié hésite à retirer sa cravate et que la femme
dissimule son corps noué sous une robe de nuit de dentelles…
Il lui a fallu tellement de temps
pour comprendre que l'amour ne s'exprimait véritablement qu'à travers
une étreinte. Que tout le reste, même donner des enfants à un homme,
n'était qu'un leurre si l'accord sensuel n'existait pas. Elle chuchote,
si bas que même Xavier n’entend pas :
—Qu'on m'amène un homme qui est
capable de bander assez longtemps même avec une vieille femme et de la
faire jouir. Il aura droit à mon respect et à mon amour.
Elle se tourne sur le côté et pose
sa main sur la poitrine de Xavier. La joie la rend ivre, et son corps
est habité d'un léger mouvement de bascule, comme s'il voulait savourer
de nouveau le goût de la jouissance. Un homme capable d'enchanter ainsi
une femme ne peut que l'aimer, vénérer chaque parcelle de son être au
complet. Elle ferme les yeux pour prolonger le moment merveilleux
qu'elle vient de vivre, les orgasmes qui se sont déversés en elle comme
des geysers brûlants, l'inondant toute entière. Elle voudrait parler
d'amour à Xavier, lui dire qu'il la rend heureuse, et surtout lui
demander ce qu'il ressent pour elle.
—Un jour, évoque-t-elle, j'ai eu
l'imprudence de demander à un de mes amants s'il m'aimait. En fait, s'il
m'aimait un peu. Voilà ce que j'ai dit, « est-ce que tu m'aimes un
peu? ». Et il a répondu avec beaucoup d'imagination : « Un peu. »
Xavier rit brièvement.
—Tu as eu ce que tu méritais. Moi
aussi, je déteste ce genre de question. Toutes mes maîtresses me l'ont
fatalement posée, un jour ou l'autre.
Évelyne reste muette, la poitrine
soudainement oppressée. Dire qu'elle a failli laisser les mêmes mots
s'échapper de sa bouche. « Est-ce que tu m'aimes un peu? » Quelle phrase
stupide, dans le fond. Pourquoi le « un peu »? Pour ne pas faire peur à
l'homme. Dans l'espoir qu'il nie cette petitesse, qu'il y oppose la
grandeur de ses sentiments.
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