Multitude
immense encerclant le Parlement du Canada-Uni à la lueur
des fanaux, cris de mort aux « damned
french rebels »
et coups de sifflets : la scène qui s’est déroulée à
Montréal, le 25 avril 1849, a beaucoup de points communs
avec l’invasion du Capitole des États-Unis, le 6 janvier
2021, par une foule de partisans de Trump.
Les
émeutiers de Montréal sont en colère parce qu’ils
semblent avoir perdu l’appui indéfectible du
gouvernement exécutif du Canada. Noyauté par les adeptes
du conservatisme ultra-tory, cet Exécutif avait imposé
son pouvoir par abus d’autorité, soutenu par l’arsenal
complet des forces de l’ordre, de l’armée britannique au
système de justice. Ces fanatiques avaient fait appel
aux plus extrémistes, souvent des orangistes, pour faire
régner la terreur, ensuite maquillée en Rébellions de
1837 et 1838. Les extrémistes avaient agi sous promesse
d’impunité.
Or, en
1849, un
projet de
loi vise à indemniser les habitants du Bas-Canada
« eu égard
aux pertes, destructions ou dommages à la propriété ».
Il
est
reconnu publiquement que miliciens et militaires, au nom
de Sa Majesté, se sont permis des chasses à l’homme,
viols, pillages et destructions. L’autorité
gouvernementale a cautionné ces actes par les
pendaisons
pour haute trahison, les déportations
en colonie
pénale et une panoplie d’abus, couronnés par l’abolition
du Parlement du Bas-Canada et de la Constitution en
vigueur depuis 1791.
Offusqués,
les ultra-tories chauffent leurs fiers-à-bras. Leurs
presses jettent de l’huile sur le feu. La population
britannique du Canada doit risquer une année de bataille
et la perte de 5 000 vies, plutôt que « se soumettre
pendant dix années encore » au pouvoir politique d’une
domination canadienne française « exclusive », affligée
d’une « mesquine jalousie » envers
une race
« de beaucoup supérieure ». Il faut s’opposer à
la loi
jusqu’à la dernière goutte de son sang. Le parlement
français « sera balayé dehors et jeté au vent ».Il y a
des placards affichés, des
pétitions
et des assemblées de protestation, puis la remise sur
pied de la dangereuse
Constitutional Association des années 1830, qui réclame
une « Convention britannique » pour un nouveau
« parlement du Canada ».
Le 25 avril
1849, lorsque la loi d’indemnité est proclamée,
les
meneurs du
parti « tory-anthropophage », ainsi que le désigne
Amédée, fils aîné de Louis-Joseph Papineau,
démarrent
unemanifestation aux rouages bien huilés.
LaMontreal
Gazette
a déjà engagé les « TrueBritons » à envahir l’Assemblée;
au moyen d’un
Extraordinaire, elle convie les « Anglo-saxons », dont
le sang et la race doivent être leur loi suprême, à une
assemblée en soirée.
« Au combat, votre heure est venue! » Puis,
les émeutiers retournent en courant vers le palais
législatif, où la session législative bat son plein.
Certains crient : « Allons brûler le
Parlement! Destruction à la Chambre! »
Au moyen de
longs bâtons ou d’une grêle de grosses pierres et de
fragments de briques apportées d’avance, ils brisent les
carreaux du bâtiment. Les portes sont forcées, grâce à
un bélier improvisé.
La
troupe de
furieux
afflue à
l’intérieur du palais législatif. Elle
grimpe les
escaliers et fait irruption dans la salle de l’Assemblée
législative. Elle y brise pupitres et fauteuils,
accumulant les débris au milieu de la salle. Un encrier
vole à travers la pièce.
Alfred
Perry, commerçant et capitaine d’une compagnie de
pompiers volontaires, s’assoit dans le fauteuil
présidentiel. Il s’empare de la masse et déclare le
parlement dissous. Il arrache l’écusson des armes
royales qui couronne le fauteuil; il démolit l’horloge
qui le surplombe. Le sergent d'armes veut le réduire à
l’impuissance, mais il est sérieusement blessé par un
coup de manche de hache et autres coups de bâtons. Plus
tard, retourné dehors, Perry se mettra debout dans une
calèche, la masse au bout de ses bras comme un trophée,
acclamé par une foule poussant des cris de dérision et
de dédain.
Les lustres
et les tuyaux qui les alimentent en gaz ont été brisés
par les projectiles. Les émeutiers lancent des balles de
papier enflammé, ensuite attisées par le gaz et le vent
qui s’engouffre; ils mettent le feu à l’amas de meubles
brisés sur le sol. Des témoins décrivent des mises à feu
dans les caves avec des torches allumées. Les
flammes dévorent l’édifice, alimentées par la paperasse
et les livres de la bibliothèque.
Les députés
réussissent à quitter le bâtiment et à traverser la
foule hostile qui l’entoure; quelques-uns sont battus.
Certains employés qui y résident perdent tout, sauvant
leur famille de justesse. Les pompiers volontaires
restent impassibles, au risque d’être maltraités par la
foule ou leurs confrères. Les pompes à eau ont été mises
hors d’usage. Les troupes de l’armée britannique
déploient autant d’indolence et les présumés
responsables du sinistre seront vite relâchés, une fois
arrêtés. À Montréal comme ailleurs, de tous temps, les
furibonds qui carburent à l’idéologie suprématiste et
sectaire savent comment se faire pardonner leurs excès,
lesquels protègent leurs intérêts mesquins au nom de la
loi du plus fort. Comme tous les radicaux, ils
connaissent l’art de dominer les affaires publiques.
Le 11
janvier 2021 |