Actuellement,
des parlementaires de Catalogne sont jugés en Espagne
pour rébellion. Avant eux, bien d’autres députés ont été
victimes d’accusations forgées, afin de réprimer un
mouvement d’auto-détermination nationale, par une
autorité impérialiste s’arrogeant la suprématie
territoriale et législative. Après l’instauration de sa
Législature, en 1791, le Québec peut tristement
s’enorgueillir d’une dizaine de représentants, châtiés
uniquement pour leur engagement en faveur des libertés
civiles. Peu avant 1810, la liste est inaugurée par le
député Charles-Baptiste Bouc (Terrebonne).
L’accusation : soupçon de sédition ou de pratiques
traîtresses, assortie d’un long séjour en prison, grâce
au juge en chef Jonathan Sewell, soutenu par le
gouverneur James Craig.
Un trio de
députés, également responsable de la publication de la
gazette Le Canadien, subit ensuite la vindicte
des autorités. François Blanchet, Jean-Thomas Taschereau
et Pierre-Stanislas Bédard, tous trois de Québec, sont
arraisonnés. Pour le gouverneur,
il faut sévir le plus tôt possible, lorsqu’il est encore
possible de contrôler l’effet des moyens répressifs
employés, pour faire cesser la propagation d’un
esprit « de mécontentement, de méfiance et
d’aberration », notamment par la diffusion de
publications séditieuses et incendiaires. Les trois
députés sont membres d’un parti « démocratique, nombreux
et violent », qui s’emploie depuis longtemps « à
inoculer dans le peuple un fort esprit de jalousie, de
désaffection et de méfiance à l’égard du gouvernement ».
Un an plus
tard, une fois sa liberté retrouvée, Bédard signe un
texte de remerciements à son électorat du comté de
Verchères, qui l’a réélu alors qu’il était en prison.
Pour quiconque se retrouve arbitrairement derrière les
barreaux, c’est un encouragement d’une valeur
inestimable. Bédard écrit : « Jamais je n’ai reçu de
marque de confiance qui m’ait été aussi sensible que
celle que vous m’avez donnée dans les circonstances où
j’étais. En me donnant un témoignage public de votre
estime, dans un temps où tout paraissait si défavorable
pour moi, vous m’avez montré que vous étiez capables de
témoigner ouvertement votre sentiment dans des temps
difficiles. Il me semble que c’était vous montrer digne
d’une Constitution comme la nôtre, et que par-là vous
avez rendu un bon témoignage en faveur de votre pays. »
Après cet
épisode saisissant de 1810, la liste des députés écroués
reste inchangée pendant un quart de siècle. L’Exécutif
colonial use d’un arsenal de moyens pour apeurer la
députation, y compris une violence électorale éhontée,
mais qui n’inclut pas l’emprisonnement sans libération
sous caution. En 1837, cependant, la situation bascule.
Au terme d’une répression méthodique contre le peuple et
ses élus, l’Exécutif colonial déclare l’état d’urgence,
la loi martiale et la mise entre parenthèse des libertés
individuelles, au nom de la sécurité de l’État.
Une
conspiration, « traîtreusement formée par un nombre de
personnes se disant faussement des patriotes, pour la
subversion de l’autorité de Sa Majesté et la destruction
de la Constitution et du gouvernement établi de ladite
province », a éclaté en actes de rébellion ouverte. Des
corps nombreux de traîtres armés s’organisent pour
attaquer les forces de Sa Majesté. Ils ont commis « les
excès et les cruautés les plus horribles ». Plus d’une
vingtaine d’hommes sont accusés du crime de haute
trahison et activement recherchés, d’autant qu’une
proclamation offre des récompenses pour leur capture.
Sept députés sont dans le groupe. Six d’entre eux ont
leur tête mise à prix pour 500 livres (Edmund
O’Callaghan, Cyrille Côté, Joseph-Toussaint Drolet,
Jean-Joseph Girouard, Édouard-Étienne Rodier et
William-Henry Scott); quant à leur président,
Louis-Joseph Papineau, il vaut le double.
Un grand
nombre de patriotes ont « concerté des moyens de
violence ouverte et formé des arrangements publics pour
lever et armer une force organisée et disciplinée, et
pour l’avancement de leurs projets se sont fréquemment
assemblés ». Le gouverneur ordonne aux forces de Sa
Majesté d’arrêter « toutes personnes agissant, aidant ou
assistant de quelque manière que ce soit dans lesdites
conspiration et rébellion »du district de Montréal « et
éclatées en attaques des plus audacieuses et des plus
violentes ». Ce qui
autorise les arrestations brutales et
arbitraires, puis l’incarcération prolongée, sans
possibilité de libération sous caution. L’armée peut
également punir « par la
Mort ou
autrement, tel qu’il leur semblera juste et expédient
pour la répression de tous les rebelles dans ledit
district. »
Un huitième député, le vétéran Pierre Amiot (Verchères),
passe sept mois en prison, dont il n’émerge que pour
aller mourir chez lui, victime de la terreur militaire.
Un dernier membre de la Législature, le conseiller
législatif Denis-Benjamin Viger, est mis à l’ombre en
novembre 1838. Refusant de verser la caution monétaire
exigée pour sa libération, il sera libéré après 18 mois
de détention. Au moins 12 parlementaires du Bas-Canada,
et plusieurs autres de la province voisine du
Haut-Canada, ont payé leur dévouement de leur personne
depuis 1791. Leurs tourmenteurs n’ont jamais été
poursuivis.
Le 20 février 2019
Illustration : P600S5, BAnQ-Québec. |