Les accoucheuses
-1: La fierté -
-2: La révolte -
-3: La déroute -

Histoire inédite des Patriotes

Le pays insoumis

Les tuques bleues

Autres roman et nouvelles

Gratien Gélinas

Marie Gérin-Lajoie

Études historiques

 

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Jasettes archivées

 

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Anne-Marie vous pique une jasette…

Pour les habitants du Québec d’antan, la date du 1er mai prenait une couleur toute particulière. Tout d’abord, le regain printanier s’installait enfin pour de bon, mais surtout, la population prenait part à un événement important : la plantation du Mai. Celle-ci remonte, selon un mémorialiste du temps, à l’ancienne Gaule païenne et druidique, avant le triomphe du christianisme et de ses fêtes religieuses. Il s’agit alors d’honorer les chefs masculins de la communauté, autant les héros militaires que les magistrats intègres et les citoyens utiles à leur pays. Ayant survécu à la Conquête par la Grande-Bretagne de 1760, la tradition restera vivante jusque bien après les Rébellions.

Un Canadien de la ville de Québec, Nicolas-Gaspard Boisseau, a raconté le cérémonial rendu à des capitaines de milice de paroisses. Le dernier jour d’avril, quatre pères de famille vont lui demander la permission de planter à sa porte un Mai, soit un jeune sapin d’environ 60 pieds de hauteur. La requête, toute symbolique, donne surtout le temps à la maîtresse de maison de prévoir pour le lendemain une table dressée avec quelques viandes et des crêpes arrosées de mélasse ou de sucre d’érable. Le 1er mai, très tôt, une douzaine de jeunes gens escortent le sapin couché sur deux paires de petites roues, et tiré par deux chevaux attelés. Une décoration en forme de girouette a été installée à son faîte.

Un trou profond de quatre pieds (plus d’un mètre) est creusé. Une planche, mise en travers du trou, supporte un homme fort qui soutient l’arbre, « que les uns soulèvent avec des pièces de bois de douze pieds de long » et que les autres « soutiennent avec des gaffes ». Dès que le Mai est bien droit, on remplit le trou de terre, puis on enfonce des piquets tout autour. On installe ensuite des « guettes » de cinq pieds de long, c'est-à-dire une pièce de menuiserie prenant la forme d’une croix de Saint-André (X) coupée en deux. Ces pièces forment un cercle qui ceinture le Mai, à en croire le narrateur. « Le Mai ainsi fixé, les jeunes gens font une décharge de fusil pour saluer le capitaine, à quoi il répond en tirant aussi un coup. »

Après le coup d’eau-de-vie fourni par le « chef de la brigade », le capitaine fait entrer tout le monde chez lui pour manger et s’abreuver. Après chaque lampée d’eau-de-vie, trois jeunes gens se lèvent de table « et vont tirer une décharge de fusil sur le Mai afin de le marquer, car c’est en quoi consiste le plus grand honneur que de noircir entièrement le Mai à coups de fusil ». Le reste de la journée, selon Boisseau, est employé à danser. Bien entendu, les seigneurs canadiens ont droit au même honneur… tant qu’ils le méritent. Louis-Joseph Papineau témoigne, lui, de la fois où, fin 18e siècle, il a vécu « la triste fête » de planter le Mai sur le pont de glace à Québec, lors d’un printemps particulièrement rigoureux. Sa lettre n’explique pas à qui ce mat honorifique était destiné. Peut-être à dame nature ?

La coutume ralentissant les travaux ardus des champs, les officiers de milice prendront l’habitude d’en dispenser leurs subalternes au cours des décennies suivantes. En 1827, cependant, la plantation du Mai connaît un regain lorsqu’on décide de la transformer en manifestation citoyenne. Le gouverneur Dalhousie est en train, par ses excès despotiques, de fâcher noir la population. Dans ce contexte, des habitants du comté des Deux-Montagnes décident d’honorer la vertu par un monuments public. Quatre officiers de milice de Saint-Benoît, récemment destitués par les autorités coloniales, se font planter un Mai garni comme celui d’un navire à voile, portant banderole et pavillon de hisse. Tout en haut est inscrit : Hommage aux officiers cassés. Ce monument durable agrémente les demeures d’officiers qui respectent et servent l’autorité royale, écrira l’un des témoins, mais également de bons sujets qui n’oublient pas qu’ils ont une patrie et des concitoyens auxquels rendre service.

Le 27 avril 2017