Anne-Marie vous pique une jasette...
En cette année 2024 pour laquelle d’intéressants
phénomènes célestes sont annoncés, heureusement que les
scientifiques sont moins catastrophistes qu’en 1857,
année où le passage de la comète de Brorsen risquait de
réduire la Terre en cendres! La fausse rumeur, propagée
au moment de sa première observation de 1857, à la
mi-mars, par l’Allemand Karl Christian Bruhns,
observateur à l’Observatoire de Berlin, a fait le tour
du monde occidental et causé des frayeurs à une certaine
partie de la population. Certaines gens du peuple des
villes et des campagnes du Québec ressentaient à
l’approche de la date fatidique, le 13 juin, une vive
panique, même de la terreur…
Dès le mois d’avril
1857, la catastrophe annoncée s’est suffisamment
popularisée en Europe pour que des caricaturistes
français (Daumier, Nadar) y consacrent plusieurs
illustrations. Un homme, refusant d’accepter un billet
promissoire, déclare : « J’en voulons point d’vot’
billet… l’échéance est au quinze juin et l’monde
finissions l’treize! » Dans une autre caricature, trois
vieilles femmes bavardent : « On dit qu’on commence déjà
à la voir!... Où ça?... À Cherbourg… Avec sa queue?...
Non, elle a pas encore poussé, mais ça ne tardera pas,
on dit qu’elle a déjà des cheveux… Je commence à avoir
peur, madame Chaffarou!... Et moi donc, madame
Mistouflet! »
La question de l’orbite
de la comète suscite d’âpres chicanes entre astronomes,
rapportera l’un d’entre eux, Edward Burne-Jones.
Certains ont tendance à croire qu’il y a péril en la
demeure; d’autres le contestent et l’un de ces
détracteurs va jusqu’à prétendre, avec colère, que la
plus grande des comètes pouvait être « condensée »
jusqu’à tenir dans sa poche, sans causer le moindre
problème.
Le 9 juin, Louis
Plamondon, marchand de vêtements sur la rue Saint-Paul,
à Montréal, titre sa publicité dans La Minerve ainsi :
« La Comète du 13 juin 1857! La fin du monde! » Il
ajoute que « tous ceux qui veulent jouir agréablement
d’une longue vie et qui ne veulent pas voir la fin du
monde s’empressent de venir visiter son magasin... » La
même gazette annonce que le marchand A. Hoffnung, de la
rue Notre-Dame, vient de recevoir « un grand assortiment
de télescopes achromatiques de jour et de nuit, d'un
pouvoir extrêmement fort, également précieux à
l’observateur astronomique, au voyageur et au
touriste ».
La veille de la date
fatidique, Louis-Joseph Papineau écrit un mot désinvolte
à son fils Amédée : « Tu annonçais, il y a déjà si
longtemps, comme instante l'arrivée d'une barge pour
enlever ton bois, que j'ai remis de jour en jour à
t'écrire jusqu'après son apparition. Mais je ne la vois
pas plus que la comète et, comme c'est demain que
celle-ci doit détruire le monde, pour mettre ma
conscience en ordre, c'est bien le moins que je t'écrive
un mot d'amitié et te dise que, si elle rate dans sa
méchante entreprise, nous te verrons arriver avec
bonheur le plus tôt que faire se pourra, nous
réjouissant tous de notre résurrection. »
Le 16 juin, le journal Le
Pays conclut narquoisement : « Fort heureusement, nous
sommes encore au monde pour constater que l’effroi était
chimérique. La comète a passé sans mot dire, sans même
donner signe de présence. Les seules circonstances qui
ont témoigné d’une perturbation météorologique, sont un
vent impétueux dans la nuit du 12 au 13, et une violente
averse, accompagnée de grêle dans la soirée du 13. »
Découverte une dizaine d’années plus tôt par le Danois
Theodor Brorsen, la comète était, en fin de compte, déjà
bien loin de la Terre; elle était passée au plus près
vers le début du mois de mai.
Le 12 janvier 2024
Une enquête biographique en
deux tomes :
La flamme du patriote
(1786-1832)
et
Le président
rebelle
(1833-1871).
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