Ce qu’il me reste
après huit ans de recherche et de rédaction, après un
million de mots imprimés en deux tomes des Tuques bleues
et en autant de tomes du Pays insoumis, premier cycle de
la saga? La certitude d’avoir voisiné un peuple
d’une formidable dignité et d’une souveraine
indépendance. Un peuple qui réagit au quart de tour
devant les injustices, avec rigueur et mesure. Un peuple
qui, devant les manifestations d’un pouvoir arbitraire,
sait quand feindre l’indifférence, quand rigoler, quand
se moquer et quand, ultimement, s’indigner avec
constance et puissance.
Des gens qui se sont
mués en insurgés lorsqu’il leur a fallu envisager
l’absolue nécessité de se défendre par les armes, soit à
partir du 6 novembre 1837, jour où les forcenés du Doric
Club ont tendu un guet-apens dans le but de transformer
les Fils de la Liberté en rebelles aux yeux des
autorités. Des insurgés qui, le long du Richelieu, ont
concrètement débuté l’entreprise de libération après le
17 novembre 1837, après l’expédition des autorités dans
le but d’arrêter divers patriotes au sud du
Saint-Laurent, expédition qui s’est conclue par la
délivrance de Demaray et Davignon sur le chemin Chambly.
Des insurgés qui, une dizaine de jours plus tard, ont dû
se résoudre à la fuite et l’exil, vaincus par la terreur
militaire et par la botte secrète de l’Exécutif, la
Volunteer Militia. Tout le reste, de Saint-Eustache
jusqu’à Napierville un an plus tard, n’est que le
parachèvement de l’œuvre d’écrasement.
Voilà le point crucial
d’une l’histoire que les Canadiens patriotes, au travers
de l’abondante documentation, m’ont entraînés à
raconter. Je me suis laissé guider par les femmes, les
hommes et les enfants, par les enfants du sol et par les
immigrants qui se sont joints à eux, afin de parcourir
un chemin touffu au travers d’une vaste province. J’ai
l’impression d’avoir côtoyé les habitants du Bas-Canada,
mes ancêtres, à un moment de grâce : celui d’avant leur
mise à genoux, celui d’avant leur mise en prison par un
gouvernement coercitif qui leur a imposé silence et
soumission, qui leur a imposé un respect absolu de
l’autorité, absurde et contre-nature. En refaisant
connaissance avec les Canadiens patriotes, en les
laissant vivre et s’exprimer, j’ai renoué avec une part
de moi-même.
Le 19 août 2015
En direct
du passé
« Avec
quelle énergie et quelle indépendance nos habitants les
plus humbles ont évité les pièges qu'on leur a tendus
pendant leur détention! M. le procureur général Ogden,
qui a passé plusieurs jours dans la prison à faire une
enquête, pourrait certifier qu'il a rencontré, chez eux,
des volontés inflexibles et des sentiments nobles et
généreux. Si cette enquête avait été faite de bonne foi
et que le résultat en fût connu, elle couvrirait les
autorités de confusion, en même temps qu'elle ferait le
plus grand honneur à nos habitants. J'ai été presque
témoin des moyens insidieux que l'on employait pour
corrompre leurs principes ou pour leur arracher des
aveux qui justifiassent la persécution de l'autorité.
Presque toujours, l'interrogatoire finissait par cette
question: ‘Que feriez-vous, mon ami, si les choses
étaient à recommencer? Prendriez-vous le parti de la
Reine ou vous mettriez-vous encore avec les patriotes?’
Toujours et à chaque fois, Ogden n'a pu tirer que des
réponses désespérantes, et qui le mettaient hors d'état
d'en décharger plusieurs qu'il avait probablement ordre
d'élargir, s'ils voulaient manifester des sentiments
loyaux. (...) Un jour que M. Ogden était un peu plus
pressé qu'à l'ordinaire et qu'il était de mauvaise
humeur, il s'adresse assez brusquement à un pauvre
homme, patriote de je ne sais plus quel endroit, et lui
demande avec précipitation et en répétant plusieurs fois
la même question: ‘Qui êtes-vous? Qui êtes-vous?’ sans
lui donner le temps de répondre. ‘Qui je suis?
interrompit à la fin notre bonnet bleu, en relevant la
tête et fixant maître Ogden avec ses yeux noirs, qui je
suis? J'su-t-un homme!’
Jean-Joseph
Girouard à Augustin-Norbert Morin, 1er
avril 1838. |
La fresque
romanesque patriote d’Anne-Marie Sicotte se décline en
deux cycles qui comportent deux tomes chacun. Le premier
cycle, soit Le pays insoumis, comprend Les
chevaliers de la croix et Rue du Sang. Le
second cycle, soit Les tuques bleues, comprend
Le charivari de la liberté et Le règne de la
canaille. Les deux cycles peuvent se lire
indépendamment l’un de l’autre, même si le second
constitue la suite du premier, avec la même galerie de
personnages et un récit qui poursuit son cours.
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