Des exemples de
courage féminin, j’en ai vus en grand nombre pendant
l’époque de la résistance à la terreur militaire des
années 1830. Je pourrais vous en citer des dizaines,
mais je vais me contenter d’en relater trois. Par leur
diversité et leur singularité, vous verrez à quel point
la gent féminine joue un rôle crucial, lorsque les
hommes sont obligés de se terrer, de fuir ou d’endurer
la répression…
Le 25 novembre 1837, Louis Larocque de Roquebrune, jeune combattant
de 25 ans, est obligé de fuir le camp retranché de
Saint-Charles. Dans le but de s’exiler de l’autre côté
de la frontière américaine, il a traversé à Saint-Marc,
puis il s’est dirigé vers Beloeil. Non loin de l’église,
il voit s’approcher un cavalier, qui se révèle être une
amazone. Fille du seigneur de Rouville, Henriette a fui
le manoir paternel, à Saint-Hilaire, lorsque son père a
permis à l’armée anglaise de bivouaquer sur sa
propriété, en route pour écraser Saint-Charles. Elle a
emménagé chez des habitants, puis elle s’est mise à
parcourir les chemins, à cheval, afin de renseigner les
patriotes sur les mouvements des troupes. C’est ainsi
qu’elle conseille au jeune Roquebrune de s’éloigner du
Richelieu « par les bois, derrière les terres », en
désignant un sentier. Trois ans plus tard, les deux
jeunes gens se retrouvent par hasard, et se marient.
C’est leur petit-fils, Robert de Roquebrune, qui raconte
l’anecdote dans son ouvrage Testament de mon enfance.
Au début de l’année 1838, Félicité Giasson, l’épouse d’un patriote
en prison, se rend devant un juge de paix pour faire une
déposition sous serment. Elle veut dénoncer les
agissements de Simon Talon Lespérance, surnommé « la
terreur » du hameau de La Présentation. Lespérance, un
marchand ayant pactisé avec l’ennemi, a demandé à
Félicité de lui rendre visite pour « lui dire quelques
choses de son mari qui lui ferait plaisir ». Seul avec
elle dans son magasin, il propose à Félicité de
consentir à ses désirs, moyennant quoi il travaillera
pour elle « et en même temps il faisait des efforts pour
porter les mains sur diverses parties de son corps et
que même pendant qu’elle se défendait de lui autant
qu’il était en son pouvoir, il lui aurait pris la main
qu’il aurait porté de force sur ses parties honteuses ».
Félicité est même « intimement persuadée que ledit Simon
Lespérance n’a fait ainsi arrêter son époux et les
autres que dans la vue de se procurer des moyens de
séduire leurs femmes et les engager à commettre de
mauvaises actions avec lui ».
Parmi les hommes écroués se trouve Georges, fils du seigneur de
Boucherville. Le 19 mai, il entame son sixième mois
d’incarcération. Il reçoit la visite d’Adèle Berthelot,
qui s’est jointe aux dames âgées qui nourrissent les
patriotes indigents tout en s’offrant à rendre service.
Elle transporte un cahier dans lequel des prisonniers
s’épanchent. C’est ainsi que Georges de Boucherville
écrit ce poème :
En proie à la misère, aux jours de la
souffrance que tissait le destin
Le prisonnier sentit succéder l’abondance à sa poignante
faim.
Par tes soins empressés, compatissante Adèle, en
trompant sa douleur,
Tu ranimas sa vie; et ta main le rappelle à des jours de
bonheur.
Il viendra ce jour où, libres de leur offrande, les
captifs oseront
Ajouter une fleur à la pure guirlande qui ceint ton
noble front.
Daigne accepter ce vœu, si faible qu’il puisse être du
fond de mon réduit,
Seul don que ne flétrisse un despotique maître de son
souffle maudit.
Le 3 mars 2015
En direct du passé
Vers le 14 novembre 1837, une dame de Sainte-Rose reçoit
la visite de trois jeunes hommes. Ils cherchent son
mari, mais celui-ci est absent. Les intrus annoncent la
venue de Bureaucrates qui vont tout mettre à feu et à
sang; ils tirent chacun un coup de fusil. « Effrayé de
cette attaque subite et imprévue, un émissaire se rendit
aussitôt au village Sainte-Rose et donna cette nouvelle,
qui fut aussitôt communiquée aux paroisses voisines.
Aussitôt avertis, ces Canadiens que l’on veut dire si
lâches, sortirent de leurs lits (car c’était dans la
nuit), se munirent des armes qu’ils purent se procurer,
pour aller joindre leurs compatriotes à Sainte-Rose. Le
village de Terrebonne est remarquable par le zèle et la
bravoure qui ont été montrés par tous. L’île Jésus ne se
montra pas moins, ainsi que la paroisse de Lachenaie, la
paroisse de Sainte-Anne-des-Plaines et même jusque de la
Rivière du Nord. Il n’y avait pas moins de 2500 hommes
réunis en divers endroits et attendant tous le mot de EN
AVANT et tous disposés et d’accord à dire VAINCRE OU
MOURIR. Il ne faut pas manquer de signaler le courage de
nos vertueuses femmes patriotes qui, pendant que leurs
maris préparaient leurs armes, s’étaient chargées de la
noble occupation de faire des balles, et encourageaient
leurs maris à défendre leurs droits au prix de leur
sang. Parmi les femmes de Terrebonne, on en a vu une
s’affubler des habits de son mari absent et prendre un
fusil et parcourir les rues encourageant les autres. »
Une autre femme dit à son mari, se préparant à partir,
de laisser son fusil car « elle pouvait tirer aussi bien
que lui, et qu’elle se défendrait bien contre les
Chouayens, qu’elle ne les craignait pas, qu’ils étaient
tous aussi lâches que traîtres ».
La Minerve, 20 novembre 1837
|
La fresque romanesque
patriote que je signe actuellement se décline en deux
cycles qui, au final, comporteront deux tomes chacun. Le
premier cycle, soit Le pays insoumis, comprend Les
chevaliers de la croix et Rue du Sang; il est publié par VLB éditeur. Le second cycle aux Éditions Fides,
intitulé Les tuques bleues, s’ouvre avec Le charivari de
la liberté; le deuxième et dernier tome est à venir. Le
charivari de la liberté a été écrit de manière à se lire
indépendamment du cycle qui précède, même s’il en
constitue la suite, avec la même galerie de personnages
et un récit qui poursuit son cours. N’hésitez pas à
plonger dans l’univers du Charivari, quitte à revenir
par après au Pays insoumis, là où les personnages
principaux amorcent leur destinée tout en prenant la
mesure d’un pays souillé par l’arbitraire et le mépris
de justice. |