C’est le 24 juin
1834 qu’a lieu le tout premier banquet de la
Saint-Jean-Baptiste, à Montréal, fête patronale qui
devient, dès lors, celle des Canadiens d’ascendance
française aux principes réformistes. Une soixantaine
de personnes s’assemblent pour manger, boire, déclamer
et surtout porter des santés. D’emblée, on souhaite
longue vie « au peuple, source primitive de toute
autorité légitime »! Plus tard au cours de la soirée,
des toasts sont portés aux initiateurs de la fête, soit
« l’élite de notre jeunesse » qui adhère à la société
patriotique « Aide-toi et le Ciel t’aidera » et celui
qui la préside, Ludger Duvernay, alors éditeur de La
Minerve.
Quelques mois auparavant, l’association a été fondée
pour servir de lieu de réflexion aux Réformistes
désireux de discuter de l’état du pays. Son nom est
repris d’un groupement de jeunes Français attachés au
journal Le Globe, qui auraient activement participé à
l’avènement de la Révolution de 1830. En sus de
l’imprimeur Louis Perrault, les avocats George-Étienne
Cartier et Louis-Victor Sicotte, ainsi que le
quincailler américain Thomas Storrow Brown sont réputés
pour avoir fait partie du groupe de pression canadien.
Selon L’Ami du peuple, de l’ordre et des lois, celui-ci
« doit être quelque chose de fort approchant des anciens
clubs révolutionnaires des Jacobins et des Feuillants ou
encore quelque chose de ressemblant aux présentes
sociétés parisiennes de Saint-Simon et des Droits de
l’Homme ». L’ultra-tory Montreal Gazette voit à ce
revolutionnary cognomen une menace palpable, celle d’une
tempête de démocratie...
Ce serait lors d’une fête réunissant les membres de
l’association que Duvernay aurait suggéré l’idée
d’offrir à ses concitoyens la Saint-Jean-Baptiste comme
fête patronale. « Jean-Baptiste » était le prénom le
plus en vogue chez les mâles du pays; les tories
réfractaires à la « tyrannie du peuple » l’utilisaient
pour qualifier, avec mépris, l’ensemble des Canadiens de
souche. Avec l’esprit délicieusement retors qui le
caractérisait, Duvernay a redonné au prénom ses lettres
de noblesse en l’accolant à la célébration de la
nationalité canadienne de langue française.
Le geste était éminemment politique. Les 92 Résolutions
venaient tout juste d’être adoptées en Chambre
d’Assemblée, ce qui a fait descendre un frisson d’effroi
sur l’échine des corrompus qui pillaient allègrement les
richesses de la colonie. Pour donner l’impression qu’ils
représentent une partie non négligeable de l’opinion
publique, ces derniers partent le bal de fondation de
sociétés nationales exclusivistes. L’Hibernian Society
existe déjà pour regrouper les Irlandais, mais aux yeux
de certains, elle est trop sympathique aux Réformistes;
la St. Patrick Society est mise sur pied par des
ultra-tories natifs d’Irlande. Sans aucun doute, la
Saint-Jean-Baptiste est une conséquence directe de ce
geste outrageant.
C’est après la terrible mais infructueuse bataille pour
empêcher l’élection de députés en majorité réformistes,
à la fin de 1834, que les autres sociétés nationales –
St. George, St. Andrews et German – voient le jour.
Toutes sont noyautées par l’aréopage sélect d’ultra-tories
de Montréal qui est également la force motrice derrière
la Constitutional Association, née au même moment,
organe central de ces fanatiques qui vont si bien
s’entendre avec sir John Colborne, trois ans plus tard.
Le banquet de la Saint-Jean-Baptiste, avec ses slogans,
santés et discours, était une très courageuse profession
de foi en faveur de la justice et des libertés.
Le 8 juin 2015
En direct du passé
Voici une partie des santés portées lors du premier
banquet de la Saint-Jean-Baptiste, selon La Minerve du
26 juin 1834 :
« À William Lyon Mackenzie, premier maire du Haut-Canada,
et au Conseil de Ville de Toronto; là, comme ici et à
Québec, le peuple s’est distingué par son choix
judicieux dans la composition du premier corps
municipal.
À la liberté de la presse et les presse libérales du
pays et des provinces voisines. Au Canadien de Québec,
seul organe fidèle des habitants de son district;
puisse-t-il, par la puissance de la vérité qu’il exprime
si dignement, étouffer les faux exposés et les calomnies
de ses antagonistes.
À l’émigration; puissent les milliers de sujets
britanniques qui viennent chercher chaque année sur nos
plages un asile contre les abus et l’oppression qu’ils
éprouvent dans leur pays natal, n’en pas créer parmi
nous et trouver ici l’accueil qui leur est dû; ils
formeront avec les habitants du Canada une phalange
impénétrable et irrésistible contre la tyrannie.
Au clergé canadien et ses évêques; puissent-ils toujours
être unis, et donner le bon exemple à leurs ouailles;
ils seront soutenus et respectés en faisant cause
commune avec la Chambre d’Assemblée et le peuple.
À la Convention du district de Montréal; le peuple a
confié à ses membres le soin de veiller à ses intérêts
qui ne seront point négligés.
Aux Assemblées constitutionnelles des trois districts
qui ont soutenu les procédés de la Chambre d’Assemblée
sur l’état du pays, et ceux qui ont fait signer la
requête à l’appui des demandes de la Chambre
d’Assemblée; honneur à ceux qui ont défendu les droits
du peuple avec autant de patriotisme, de zèle et de
désintéressement. » |
La fresque romanesque
patriote que je signe actuellement se décline en deux
cycles qui, au final, comporteront deux tomes chacun. Le
premier cycle, soit Le pays insoumis, comprend Les
chevaliers de la croix et Rue du Sang; il est publié par VLB éditeur. Le second cycle aux Éditions Fides,
intitulé Les tuques bleues, s’ouvre avec Le charivari de
la liberté; le deuxième et dernier tome est à venir. Le
charivari de la liberté a été écrit de manière à se lire
indépendamment du cycle qui précède, même s’il en
constitue la suite, avec la même galerie de personnages
et un récit qui poursuit son cours. N’hésitez pas à
plonger dans l’univers du Charivari, quitte à revenir
par après au Pays insoumis, là où les personnages
principaux amorcent leur destinée tout en prenant la
mesure d’un pays souillé par l’arbitraire et le mépris
de justice.
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