Anne-Marie
vous pique une jasette…
Parfois, la
vie offre de discrets cadeaux, comme un modeste bouquet de fleurs de la
fête des mères qu’un fils empourpré vient nous glisser dans la main en
catimini… Au cours de récentes recherches, je suis tombée sur une réelle
Vitaline patriote. Le prénom de l’héroïne à qui j’ai donné vie dans les
deux tomes du Pays insoumis, et qui poursuivra ses aventures dans
Les tuques bleues à venir, je l’ai choisi au sein d’une liste que
je constitue à partir de ma documentation. Comme ce prénom n’est pas
très commun, et comme les témoignages de femmes patriotes sont rares, je
n’aurais jamais pensé en croiser une en chair et en os.
En fait, la
dame en question est issue d’un couple ayant participé aux « troubles »
de 1838. Son père, Julien Fréchette, et son oncle, David Fréchette,
avaient quitté leurs familles pour se battre à Odelltown, le 9 novembre.
Julien est « arrêté quelques jours après, et mis en prison où il eût
beaucoup à souffrir. » Dans cette lettre que l’historien L. O. David a
publiée dans La Presse du 26 décembre 1913, Vitaline Fréchette
ajoute que deux semaines plus tard, « des soldats et des volontaires
arrivèrent et dirent aux femmes de s’en aller, car ils venaient mettre
le feu à leurs maisons et autres bâtiments. »
La
correspondante poursuit : « En effet, les femmes étaient à peine sorties
que le feu commençait à détruire tout ce qu’elles possédaient. Étant
loin des voisins, ne sachant où aller, elles passèrent la nuit dans le
bois avec huit petits enfants. Et comme il pleuvait, on peut se faire
une idée de leurs souffrances. Ma mère nous racontait souvent, en
pleurant, les souffrances de la famille causées par la participation de
mon père à l’insurrection de 1838. » Quelle précieuse perle d’émotion…
Il n’est pas
trop tard pour vous offrir une étrenne du Nouvel An, soit la complainte
du colporteur de gazettes que la rédaction de La Minerve a
offerte à ses abonnés pour 1837, année cruciale entre toutes. Des jeunes
gens demandent à un vieillard de prévoir l’avenir grâce à « ce qu’il
sait de notre histoire ». Il refuse, car de son inutile science « les
fruits seraient amers ». La jeunesse insiste : « Nous ne connaissons
qu’une crainte, c’est l’esclavage et non la mort. Malheur au cœur lâche
et perfide qui préfère des fers honteux! » Le vieillard bénit leur
fougue : « En vous seuls est notre espérance, n’attendez pas d’autres
secours. Enfants, votre pays vous crie : soyez unis, vous serez forts;
la liberté de la patrie sera le prix de vos efforts. »
Le
24 janvier 2014
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En
direct du passé
« Violences organisées des soldats.
Nous avons toujours pensé que les courses de chevaux étaient un
amusement plus dangereux qu’utile, et que dans ce pays en
particulier elles étaient l’occasion d’insultes réitérées pour
le peuple. Nous venons d’être confirmés dans cette opinion par
la conduite d’une soldatesque hostile et brutale durant les
trois jours des Courses de la rivière Saint-Pierre. À la vérité
depuis plus d’un an les violences nombreuses quoiqu’isolées dont
les soldats anglais s’étaient rendus coupables envers les
citoyens de Montréal, pouvaient faire croire qu’ils n’avaient
pas oublié leurs hauts faits de 1832; mais dans la circonstance
actuelle on a vu dans l’ensemble tout ce que pouvait la
brutalité organisée, sous l’empire des haines nationales et de
la débauche.
Mardi [3
septembre 1833], premier jour des Courses, un certain parti de
soldats s’emportait en bravades et en menaces contre les
Canadiens que le spectacle avait rassemblés, et les provoquait
de la baïonnette. Il s’engage une lutte entre les soldats et
quelques hommes du peuple; les premiers frappaient de leurs
armes à droite et à gauche, mais à la fin ils furent désarmés,
et la plupart des baïonnettes dispersées. Le jeudi, second jour,
des soldats en bien plus grand nombre se rendirent aux courses
en marchant en colonne, portant, outre leurs armes au côté, des
bâtons presque tous uniformes dans la main gauche, criant et
vociférant, disant qu’ils étaient des soldats britanniques,
qu’ils devaient être les maîtres, et qu’ils auraient vengeance.
(…) le gros des soldats voyant qu’il s’était opéré un
rassemblement de Canadiens qui regardaient paisiblement, se
précipita sur eux la baïonnette à la main [et] frappèrent de
leurs armes à travers la foule, indistinctement et sans égard.
Vendredi,
dernier jour, les mêmes désordres se sont renouvelés avec une
préméditation plus marquée et des circonstances encore plus
aggravantes. (…) les soldats qui n’attendaient que l’occasion,
se précipitèrent aussitôt sur la foule, peu nombreuse à cette
heure du jour, chassant tout devant eux en parcourant le vaste
champ des courses la baïonnette à la main, avec un acharnement
qui ne peut se décrire. Des personnes qui ne prenaient aucune
part à la rixe, et qui se plaçaient sur les clôtures pour être à
l’abri des coups et pour mieux observer, furent souvent délogées
par les soldats qui venaient sur elles l’arme à la main : l’une
d’elles fut assaillie par un musicien du régiment, le seul en
apparence des soldats présents qui portât une sorte d’épée.
Les
soldats frappèrent à droite et à gauche comme la veille. Les
évolutions de cette armée de furieux se faisaient au son du cor;
ils se ralliaient souvent, et paraissaient commandés par les
caporaux et autres sous-officiers; il y avait parmi eux
plusieurs sergents. (…) Plusieurs orangistes se joignirent à eux
et prirent part à leurs violences.
Quelques-uns de ces soldats, tout à fait ivres, frappèrent de
leurs bâtons sur la voiture de personnes respectables qui
passaient dans le chemin. L’un d’eux attaqua un homme à cheval
en cherchant à percer l’animal qu’il montait. (…) Un jeune
homme, abattu plusieurs fois, et laissé sur le champ, s’était
réfugié dans un fossé; il y fût poursuivi de nouveau, et n’eut
d’autre refuge que de se jeter dans le fleuve. (…) Un Canadien
se trouvait étendu comme mort à force de coups. Des soldats
passant auprès demandèrent à quelqu’un qui lui portait secours
si c’était un Canadien. Non, répondit-il, c’est un Allemand. Les
soldats dirent qu’il l’échappait belle, parce que si c’eût été
un Canadien ils l’auraient achevé. (…) Cette fureur de la
soldatesque a été fatale à un Canadien nommé Barbeau [qui] ne
guérira pas de ses blessures nombreuses, et est mourant malgré
les soins qui lui sont portés. Il a au bas du dos des blessures
profondes faites avec un instrument pointu, qui lui ont paralysé
entièrement les membres inférieurs; il a aussi la tête très
endommagée. »
La Minerve, lundi 9
septembre 1833 |
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