En science historique comme en bien d’autres domaines,
des convictions sont parfois forgées à coups de marteau
sur des enclumes faites d’approximations, de raccourcis
ou de racontars. Le but est généralement idéologique,
comme dans le cas de la supposée misogynie de
Louis-Joseph Papineau. Je
crois avoir prouvé, par mes travaux ultérieurs, mon
professionnalisme et mon souci de réintégrer la gent
féminine dans l’Histoire. Par contre, jamais je n’irai
jusqu’à travestir la réalité telle que trouvée dans la
documentation, dans le but de me conformer à des écoles
de pensée qui croient détenir la vérité. L’honnêteté
prime par-dessus tout.
Après une recherche exhaustive de plusieurs année dans les
archives, j’affirme que Papineau respectait de prime
abord les femmes, toutes et chacune d’entre elles. Je
n’ai rien lu, rien vu, qui m’incite à penser le
contraire. Il n’y a qu’à lire mon « Papineau – Par amour
avant tout » pour comprendre le type de compagnonnage
qu’il privilégiait… Pourtant, à l’instar de quelques
autres calomnies, celle de misogynie est régulièrement
réanimée dans l’espace public. La preuve qui la
soutient? Lors d’un débat à l’Assemblée législative en
janvier 1834, Papineau déclare : « Quant à l’usage de
faire voter les femmes, il est juste de le détruire. Il
est ridicule, il est odieux de voir traîner aux hustings des
femmes par leur mari, des filles par leur père, souvent
même contre leur volonté. L’intérêt public, la décence,
la modestie du sexe exigent que ces scandales ne se
répètent plus. Une simple résolution de la chambre qui
exclurait ces personnes-là du droit de voter sauverait
bien des inconvénients. »
Là-dessus s’est bâti un préjugé : nécessairement, Papineau
endosserait la « vision républicaine » de la
respectabilité féminine : la participation des femmes à
la vie citoyenne, hors de la sphère domestique
familiale, était contraire aux bonnes mœurs (lire
l’historienne Denyse Baillargeon dans Le Devoir
du 18 septembre 2021, section Libre opinion).C’est un
manque de rigueur que d’asseoir un jugement catégorique
– celui d’être un misogyne souhaitant priver les femmes
de leur droit de vote – sur une courte tirade sortie de
son contexte.
D’abord, il faut savoir que sa fameuse réplique,
Papineau ne la dit pas pendant les débats sur la loi qui
privera effectivement les femmes du droit de suffrage
(mais qui ne sera pas mise en vigueur). Il la prononce
relativement à une autre loique
le
député John Neilson souhaite faire réviser,
celle
réglant les élections,
car elle serait cause d’abus selon lui; et comme
exemple, il cite
le droit pour les
femmes de voter.
Alors, partout dans l’Empire
britannique, le droit de suffrage devient peu à peu
exclusivement masculin; quelques années plus tôt, les
lois créant des conseils de ville à Montréal, Québec et
Toronto l’ont d’ailleurs réservé aux mâles.
À Neilson,
Papineau rétorque que
la principale source d’abus est le
scandale de la violation de la liberté électorale par
les hauts placés de l’Exécutif colonial, ainsi que la
nomination « d’hommes de parti » comme officiers
d’élection. Alors, la
violence électorale est partout, endémique et
terrorisante. Aussitôt, le débat est
« personnalisé » par Austin Cuvillier, un vire-capot
qui a bel et bien traîné son
épouse Marie-Claire Perrault – dont il est pourtant
séparé de biens – au bureau de vote de la fameuse Rue du
Sang, en 1832. Papineau lance donc à Cuvillier sa
fameuse tirade. Ce dernier réplique avoir vu Papineau
recevoir les votes féminins« avec plaisir et, par
son sourire agréable et gracieux, leur en témoigner son
approbation et s’en féliciter ». N’est-ce pas un
témoignage direct de l’opinion de Papineau sur le sujet?
L’historiographie l’a pourtant négligé, comme bien
d’autres aspects d’une réalité qu’il faut retisser dans
ses détails pour en faire un panorama saisissant… et
moins manichéen que le voudraient certaines écoles de
pensées.
Le 28 septembre 2021
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